Matthias Grünewald (1480-1528)
Le Christ aux outrages, 1503/1505
 
Peinture sur bois, 109x73.5 cm, Munich, Alte Pinakothek
 
Il pourrait s’agit d’un mémorial à Apollonia von Cronberg, morte
en 1503, et destinée à la Collégiale d’Aschaffenburg.
Il existe 5 copies du tableau dont l’une porte le blason des Cronberg
 
 
 
L’épisode représenté
 
Nom : grec : Empaigmos ; lat. : Christi Alapatio, Christus velatus, consputus, et calaphizatus, it. : Nostro Signore beffagiato ; Gesù dériso, schernito, oltraggiato, angl. : The mocking (Buffeting, Scoffing) of Christ, The Lord buffeted and spit upon, all. : Die Verspottung (Verhöhnung) Christi.
 
Époque : à la fin de la vie de Jésus, dans le cycle narratif de la Passion (qui conduit à sa crucifixion).
 
Lieu : à Jérusalem.
 
L’épisode des outrages fait partie du cycle des procès que Jésus subit avant sa crucifixion : avant sa condamnation, il subit un premier procès, procès religieux devant le Sanhédrin, sous la présidence du Grand Prêtre (que certains textes nomment Caïphe) et un second procès, plus politique, devant Ponce Pilate. Certains évangiles ajoutent deux autres comparutions : Luc fait comparaître Jésus devant le roi Hérode Antipas (Lc 23, 8-12) et Jean devant Anne, le beau-père du grand prêtre Caïphe (Jn 18, 13-24). Au cours de ces confrontations avec les autorités, on le gifle et on le flagelle.
 
 
 
Les textes
 
On distingue deux séances d’outrages dans les textes : une première pendant la comparution devant le Sanhédrin, au cours de laquelle la foule crache sur Jésus et le gifle et une seconde séance, après la comparution devant Pilate, au cours de laquelle Jésus est flagellé et couronné d’épines.
 
La première séance reprend les injures. Elle se trouve dans les évangiles synoptiques :
Luc, 22, 63-65 « Les hommes qui le gardaient le bafouaient et le battaient ; ils lui voilaient le visage et l’interrogeaient en disant : “Fais le prophète ! Qui est-ce qui t’a frappé ?” Et ils proféraient contre lui beaucoup d’autres injures. »
 
La seconde séance est beaucoup plus cruelle. Elle est narrée par l’évangile de Jean :
Jean 19, 1-2 « Pilate prit alors Jésus et le fit flageller. Les soldats, tressant une couronne avec des épines, la lui posèrent sur la tête, et ils le revêtirent d’un manteau de pourpre ; et ils s’avançaient vers lui et disaient : “Salut, roi des Juifs !” Et ils lui donnaient des coups. »
 
 
 
Signification de l’épisode
 
L’épisode des outrages correspond peut-être à une coutume ancienne où l’on se moquait des condamnés. Le philosophe juif Philon d’Alexandrie raconte comment la foule se gaussait d’un malheureux durant l’été 38 apr. J.-C. :
 
« Ils l’installèrent […] bien en vue de tout le monde. Ils aplanissent une feuille de papyrus qu’ils lui mettent sur la tête en guise de diadème. Ils lui couvrent le reste du corps d’une carpette en guise de chlamyde [un grand manteau] et en guise de sceptre, l’un d’eux lui remet un petit bout de tige de papyrus du pays qu’il avait aperçu, jeté au rebut, sur la route. […] Quand on lui eut remis, comme au théâtre dans les farces, les insignes de la royauté et qu’il fut attifé en roi, de jeunes garçons, en guise de lanciers, bâton sur l’épaule, lui firent la haie des deux côtés, en jouant les gardes du corps. Ensuite d’autres s’avancèrent, qui pour le saluer, qui pour se faire rendre justice, qui pour lui présenter des requêtes d’intérêt public. » (In Flaccum § 37-39, trad. A.-M. Pelletier).
 
Plusieurs interprétations expliquent l’insertion de l’épisode dans les cycles de la Passion.
 
1. Montrer la souffrance de Jésus au cours de sa passion. – L’Homme Dieu est méprisé, humilié, couvert de sarcasmes et de coups, tourné en dérision. Cela illustre l’étendue de la souffrance de Jésus mais aussi la profondeur du péché de ceux qui se moquent de lui.
2. Montrer l’accomplissement du plan de Dieu. – Alors que Jésus s’est montré puissant en actes et en paroles tout au long de sa vie publique, il se tait et subit le châtiment sans un mot. Cette attitude prouve son consentement à ce sacrifice. Comme le dit Paul, Dieu « n’a pas épargné son propre Fils, mais l’a livré pour nous tous » (Rm 8, 32) : cette séance d’outrage fait partie de ce plan divin en vue du salut, auquel Jésus a acquiescé au cours de l’agonie au Jardin des Oliviers (voir notre examen de la scène dans Pour Décoder un tableau religieux).
3. Accomplir une prédiction du prophète Isaïe. – Ce plan divin avait été annoncé par le prophète Isaïe :
Isaïe 50, 4-7 « Le Seigneur Yahvé m’a donné une langue de disciple pour que je sache apporter à l’épuisé une parole de réconfort. Il éveille chaque matin, il éveille mon oreille pour que j’écoute comme un disciple. Le Seigneur Yahvé m’a ouvert l’oreille, et moi je n’ai pas résisté, je ne me suis pas dérobé. J’ai tendu le dos à ceux qui me frappaient, et les joues à ceux qui m’arrachaient la barbe ; je n’ai pas soustrait ma face aux outrages et aux crachats. Le Seigneur Yahvé va me venir en aide, c’est pourquoi je ne me suis pas laissé abattre, c’est pourquoi j’ai rendu mon visage dur comme la pierre, et je sais que je ne serai pas confondu. »
 
La séance des outrages prouve donc pour les évangélistes que Jésus est bien le Messie annoncé dont Isaïe avait prédit qu’il serait violenté.
 
 
 
Traduction picturale
 
 
La scène
 
L’évangile présente deux scènes : les outrages au Sanhédrin et la flagellation après la comparution devant Pilate. L’iconographie les distingue :
 
1° La Première Dérision ou Le Christ aux outrages. – Jésus est représenté les yeux bandés, la tête couverte d’un voile, les mains liées avec une corde. Il est bafoué par la valetaille du Grand Prêtre.
2° La Seconde Dérision ou Le Couronnement d’Épines. – Jésus a le visage découvert, il est présenté comme un roi de théâtre avec un roseau en guise de sceptre et une couronne d’épines. Il est livré aux soldats romains de Pilate.
 
Ces scènes apparaissent vers le 11e siècle et prennent un tour pathétique à la fin du Moyen-Âge où l’on insiste sur les détails morbides. Certains artistes mêlent les deux représentations [Martin SCHONGAUER, retable des Dominicains, 1480-1490, Colmar, Musée d’Unterlinden]. Le couronnement d’épines semble avoir supplanté un temps le Christ aux outrages, même si on retrouve cette dernière représentation jusqu’au 19e siècle, en particulier chez Manet [Edouard MANET, 1865, Chicago, Art Institute]. Nous traitons ici de la première dérision, en lien avec le tableau de Grünewald.
 
 
Les sources de l’Iconographie de Grünewald
 
Des spécialistes modernes ont situé les sources de Grünewald dans les Révélations de sainte Brigitte de Suède, un ouvrage mystique du 14e siècle, très diffusé à l’époque de la Renaissance allemande.
 
Sainte Brigitte de Suède, Révélations I, 11 : « Paroles de Jésus-Christ à son épouse, traitant de la manière qu’il se donna librement à ses ennemis qui le crucifiaient, et comment il faut vivre avec continence, se privant de tout ce qui est illicite, à l’exemple de sa douce passion. — Le Fils de Dieu parlait à son épouse, disant : Je suis le Créateur du ciel et de la terre, et le corps qui est consacré sur l’autel est mon vrai corps. Aimez-moi de tout votre cœur, car je vous ai aimée. Je me suis librement donné à mes ennemis, et mes amis et ma Mère ont été assaillis d’une douleur trop amère, et ils ont fondu en larmes.
Quand je voyais la lance, les clous, les fouets et autres instruments préparés pour ma passion, je m’en approchais néanmoins avec joie. Et quand, sous la couronne d’épines, ma tête fut toute sanglante, et que mon sang ruisselait partout, et bien que mes ennemis touchassent mon cœur, j’eusse mieux aimé qu’il eût été déchiré en deux que de ne pas vous posséder et ne pas vous aimer. Parant, vous seriez trop ingrate, si vous ne m’aimiez, en reconnaissance du grand amour que je vous ai témoigné. Si ma tête a été percée par les épines et s’est inclinée sur la croix, votre tête doit bien s’incliner à l’humilité ; et parce que mes yeux étaient remplis de sang et de larmes, vous devez vous abstenir de ce qui délecte vos yeux ; et parce que mes oreilles ont été remplies de sang et ont ouï qu’on me détractait, partant, vos oreilles ne doivent pas écouter les paroles moqueuses, niaises et légères ; et parce qu’aussi on a abreuvé ma bouche d’une boisson amère, vous devez aussi fermer la bouche aux paroles mauvaises et l’ouvrir aux bonnes ; et comme mes mains ont été étendues sur le gibet, vos œuvres, figurées par les mains, doivent être tendues aux pauvres et à mes commandements ; vos pieds, c’est-à-dire vos affections, par lesquelles vous devez venir à moi, doivent être crucifiées à toutes les voluptés ; et comme j’ai souffert en tous mes membres, de même tous vos membres doivent être prêts et disposés à m’obéir, car j’exige plus de service de vous que des autres, parce que je vous ai douée et enrichie d’une grâce plus grande et plus excellente. »
 
Une autre source peut être le Speculum humanæ salvationis ou Miroir du Salut humain composé par un auteur anonyme du début du 14e siècle. Il existe plus de 350 manuscrits (avec des miniatures différentes) du Speculum et la plupart des copies sont illustrées. On reconnaît ici l’influence du Chapitre XIX : Cristus fuit velatus, consputus et colaphisatus qui est accompagné d’une vignette présentant Jésus non aveuglé mais assis et battu.
 
 
 
Les Personnages
 
 
Jésus.
 
Dans le tableau de Grünewald, Jésus n’est pas au centre comme c’était l’usage à l’époque ; il est assis dans un angle, sur un rebord de mur ou de marche d’escalier, épuisé. Il donne la sensation de ressentir une écrasante douleur. Dans la plupart des représentations, il a les yeux bandés [Psautier de Saint Alban], conformément à Luc, et porte un voile sur la tête. Parfois, il a carrément la tête emprisonnée dans une sorte de sac [Petites Heures de Jean de Berry, XIVe s., Paris, BNF]. Jésus a les mains liées car la troupe qui l’a arrêté lui a attaché les mains avant la comparution devant Caïphe. Il a souvent les pieds nus.
 
Les artistes donnent la plupart du temps à Jésus une expression de constance qui confine parfois à la lassitude. L’attitude de patience est caractéristique de toutes les scènes de la Passion car elle illustre son assentiment au plan divin et correspond à la prophétie d’Isaïe.
 
Les tortionnaires.
 
Dans la plupart des tableaux, les tortionnaires s’acharnent sur leur victime : ils le soufflettent, lui crachent au visage, le frappent sauvagement avec les poings. Certains lui font le geste injurieux de la figue [Schongauer] ou lui font des grimaces [Speculum Humanæ Salvationis, éd. de Cologne, 1450, La Haye, Museum Meermanno Westreenianum]. Vers la fin du Moyen Âge, la description des outrages emprunte aux Mystères de la passion souvent représentés à cette époque.
« Je veulz jouer au Chapel fol [colin-maillard], dit l’un des bourreaux, pour veoir s’il saura devyner. » La-dessus tous le frappent à qui mieux mieux en lui disant ironiquement « Devyne qui t’a féru. »
 
Le tableau de Grünewald est représentatif de cet acharnement : on y voit un homme qui va frapper avec son poing nu et qui semble tenir de sa main gauche les cheveux de Jésus pour mieux immobiliser sa tête afin de mieux frapper, un homme qui s’apprête à souffleter le condamné et porte un bâton de l’autre main et un homme qui tient d’une main la corde à nœud pour tirer le Christ et de l’autre s’en sert comme d’un fouet.
 
La dérision et les insultes.
 
Outrage : offense ou injure extrêmement grave (de parole ou de fait).
Insulte : acte ou parole qui vise à outrager ou constitue un outrage.
Dérision : mépris qui incite à rire, à se moquer de (qqn, qqch.)., raillerie, Rire, gestes de dérision
 
Dans l’art allemand du 15e et du 16e siècle, la brutalité et la grossièreté des bourreaux atteignent un paroxysme révoltant et répugnant, comme dans le cloître des Franciscains de Schwaz au Tyrol : un bourreau appuie son pied sale sur le visage de Jésus enchaîné, d’autres crachent à la figure, se mouchent sur sa tête ou l’aspergent de liquides nauséabonds avec une seringue[7]. Très souvent, les crachats sont représentés de manière très explicite, comme des gouttes de couleur verdâtre, rougeâtre [Speculum Humanæ Salvationis, éd. de Cologne, 1450, La Haye, Museum Meermanno Westreenianum] ou blanchâtre [Speculum Humanæ Salvationis, v. 1470, Marseille, Bibliothèque municipale].
 
L’insulte se marque aussi par les distorsions du visage, les grimaces de la bouche. Les auteurs contemporains insistent sur cette laideur. L’Arétin [Pietro ARETINO, Trois livres de l’humanité de Jésus-Christ, extraits de la traduction de JEAN DE VAUZELLE (1559) adaptés par Elsa Kammerer, Paris, Rue d’Ulm, 2004, p. 60] décrit ainsi les bourreaux :
« Celui qui se dressait à droite de la colonne portait au visage tous les défauts que la nature peut donner : le front petit, les yeux qui louchaient, les sourcils épais, le nez camus, les lèvres bouffies et violettes d’où pendaient deux touffes de barbe […]. L’autre, qui se trouvait à gauche, était plein de toutes les disgrâces que le monde donne d’habitude à qui mène méchante vie. Il avait, outre la tête rasée, un œil chassieux au front, qui coulait sur son nez ; ses oreilles coupées pour raison de justice faisaient le lui un monstre. »
 
Les types s’inspirent souvent des traités antiques de physiognomonie (analyse du visage pour déterminer les traits de caractère d’une personne). Par exemple, un anonyme latin de la fin du 4e siècle apr. J.-C. écrit :
« Un front étroit dénote une personne ignare, sale et vorace : c’est le type du porc » (§ 17)
« Un nez épais dénonce un homme malpropre : ainsi sont les porcs et les oiseaux immondes. » (§ 51)
« Une bouche très saillante, ronde avec des lèvres épaisses, et retroussée montre un être sale, vorace et stupide : ce sont les signes des porcs. » (§ 48)
 
D’après le Speculum, l’homme qui souffleta le Christ serait ce même Malchus auquel Pierre avait tranché l’oreille au moment de l’arrestation de Jésus.
 
Dans certaines représentations, les bourreaux ne sont pas figurés, mais simplement symbolisés. Fra Angelico dans sa fresque du couvent Saint-Marc [Fra ANGELICO, XVe siècle, Florence, Museo San Marco] à Florence montre autour de la tête les outrages qu’on lui fait subir simplement par des têtes d’hommes : un faux salut de l’homme qui soulève son chapeau, une bouche qui crache, une main qui donne des gifles, un poing qui tient un bâton pour les coups.
 
Autres personnages
 
À partir du Moyen Âge, les artistes ont tendance à multiplier les personnages pour dramatiser l’action. Ainsi Grünewald introduit-il d’autres personnages comme un musicien dont le tambour et la flûte accompagnent les outrages des gardes et renforcent l’impression de douleur et de dérision. Sur une gravure de Dürer [Albrecht DÜRER, Petite Passion, gravure, 1511, Londres, British Museum], on voit un sonneur de trompe qui gonfle ses joues.
 
Parfois, on peut repérer des spectateurs au visage triste et empreint de compassion qui parlent à un des bourreaux et donnent l’impression qu’ils tentent doucement d’arrêter le geste du tortionnaire. Ils servent d’exemple au spectateur pour l’inviter à imiter sa compassion. Le spectateur est ainsi appelé à partager les souffrances du Christ.
 
 
Le Lieu
 
D’après les textes, la scène se déroule à l’intérieur d’un palais attenant au Temple, chez le Grand prêtre. Souvent, il s’agit d’un lieu clos, dans un espace mal défini, obscur, qui renforce l’impression tragique propre à la scène.
 
 
 
Ouvertures
 
 
La lecture typologique de la scène
 
Les auteurs chrétiens ont souvent interprété cette scène en lien avec les récits de l’Ancien Testament. C’est ce que l’on appelle une lecture typologique de la scène : l’Ancien Testament est censé préfigurer, annoncer le Nouveau Testament et, réciproquement, le Nouveau Testament est censé accomplir l’Ancien. Quatre épisodes bibliques ont été présentés comme des types de la scène des outrages.
 
1. L’ivresse de Noé : Noé, ivre, est bafoué par un de ses fils :
 
Genèse 9, 20-27 « Noé, le cultivateur, commença de planter la vigne. Ayant bu du vin, il fut enivré et se dénuda à l’intérieur de sa tente. Cham, père de Canaan, vit la nudité de son père et avertit ses deux frères au-dehors. Mais Sem et Japhet prirent le manteau, le mirent tous deux sur leur épaule et, marchant à reculons, couvrirent la nudité de leur père ; leurs visages étaient tournés en arrière et ils ne virent pas la nudité de leur père. Lorsque Noé se réveilla de son ivresse, il apprit ce qui lui avait fait son fils le plus jeune. Et il dit : Maudit soit Canaan ! Qu’il soit pour ses frères le dernier des esclaves ! Il dit aussi : Béni soit Yahvé, le Dieu de Sem, et que Canaan soit son esclave ! Que Dieu mette Japhet au large, qu’il habite dans les tentes de Sem, et que Canaan soit son esclave ! »
 
2. Samson, devenu aveugle, est la risée des Philistins :
 
Juges 16, 23-25 « Les princes des Philistins se réunirent pour offrir un grand sacrifice à Dagôn, leur dieu, et se livrer à des réjouissances. Ils disaient : “Notre dieu a livré entre nos mains Samson, notre ennemi.” Dès que le peuple vit son dieu, il poussa une acclamation en son honneur et dit : “Notre dieu a livré entre nos mains Samson, notre ennemi, celui qui dévastait notre pays et qui multipliait nos morts.” Et comme leur cœur était en joie, ils s’écrièrent : “Faites venir Samson pour qu’il nous amuse !” On fit donc venir Samson de la prison et il fit des jeux devant eux, puis on le plaça debout entre les colonnes »
 
3. Job est injurié par sa femme et ses faux amis :
 
Job 16, 6-13 « Mais quand je parle, ma souffrance ne cesse pas, si je me tais, en quoi disparaît-elle ? Et maintenant elle me pousse à bout ; tu as frappé d’horreur tout mon entourage et il me presse, mon calomniateur s’est fait mon témoin, il se dresse contre moi, il m’accuse en face ; sa colère déchire et me poursuit, en montrant des dents grinçantes. Mes adversaires aiguisent sur moi leurs regards, ouvrent une bouche menaçante. Leurs railleries m’atteignent comme des soufflets ; ensemble ils s’ameutent contre moi. Oui, Dieu m’a livré à des injustes, entre les mains des méchants, il m’a jeté. Je vivais tranquille quand il m’a fait chanceler, saisi par la nuque pour me briser. Il a fait de moi sa cible : il me cerne de ses traits, transperce mes reins sans pitié et répand à terre mon fiel. »
 
4. Élisée est ridiculisé à cause de son crâne chauve par les enfants de Béthel :
 
2 Rois 2, 23-24 « Il monta de là à Béthel, et, comme il montait par le chemin, de jeunes garçons sortirent de la ville et se moquèrent de lui, en disant : “Monte, tondu ! Monte, tondu !” Il se retourna, les vit et les maudit au nom de Yahvé. Alors deux ourses sortirent du bois et déchirèrent quarante-deux des enfants.
 
 
Deux lectures religieuses de la scène
 
      Dieu a souffert et il partage la souffrance des hommes et connaît la compassion, selon les Actes de Jean, un apocryphe grec du IIe siècle consacré à l’activité et à la mort de l’apôtre Jean en Asie Mineure. Il fut taxé d’hérésie par certains Pères dès le IVe siècle et jugé blasphématoire par le Concile de Nicée (787) :
 
Actes de Jean : « Il est présent à cause de nous dans les prisons et les tombeaux, les fers et les cachots, les outrages et les sévices, sur mer et sur la terre, dans les flagellations, les condamnations, les complots, les embûches, les châtiments. En un mot, parce qu’il est avec nous, quand nous souffrons, il partage aussi nos souffrances. Invoqué par chacun de nous, frères, il ne supporte pas de ne pas nous écouter, mais parce qu’il est partout, il nous écoute tous. »
 
      Il est nécessaire de souffrir pour que s’accomplissent les Écritures :
 
Brigitte de Suède, Révélations célestes V, 11, 5 : « Pourquoi n’ai-je pas montré les pouvoirs infinis de ma Divinité, et que j’étais vrai Dieu, quand je dis en la croix : Tout est consommé ? Tout ce qui avait été écrit de moi devait être accompli ; et partant, je l’ai voulu accomplir jusques au dernier point ; mais parce que plusieurs choses avaient été prédites de la résurrection et de mon ascension, voire il était nécessaire que ces choses eussent effet. Si donc en ma mort, la puissance de ma Divinité eût été manifestée, qui eût osé me déposer de la croix et m’ensevelir ?
       Enfin, ce serait bien peu de descendre de la croix, d’avoir renversé et puni ceux qui me crucifiaient, comment les prophéties auraient-elles été accomplies, si j’en fusse descendu ? Où se serait manifestée la vertu de ma patience invincible ? Eh quoi ! Vous vous trompez : quand je serais descendu de la croix, tous se seraient-ils convertis ? N’auraient-ils pas dit que j’aurais fait cela d’un art magique ? Car s’ils s’indignaient de ce que j’avais ressuscité les morts, guéri les malades, ils en auraient bien dit d’autres, si je fusse descendu de la croix. J’ai voulu être pris, afin que le captif fût affranchi ; et afin que le coupable fût délié, j’ai voulu être attaché en croix, et par ma constance à demeurer en la croix, j’ai rendu constantes toutes les choses inconstantes, et ai affermi la faiblesse. »
 
 
Comment représenter l'insulte en peinture?
 
La peinture s’affronte toujours au défi de rendre visible l’invisible. Mais comment procède-t-elle lorsqu’elle doit donner à voir des sons ? Munch, Poussin ou Bacon, par exemple, ont fait entendre dans un silence assourdissant les plus beaux cris de la peinture. Mais lorsque l’on passe de l’inarticulé à l’articulé, et plus particulièrement à la profération de l’insulte les procédés employés parfois ne suffisent pas.
 
En effet on peut souvent remarquer, dans la peinture médiévale notamment, des mots écrits sortant de la bouche de l’un ou l’autre personnage. Dans une Annonciation [Jan van Eyck, L’Annonciation, vers 1435, Huile transférée du bois sur une toile, 93 x 37 cm, Washington, National Gallery of Art], Gabriel, profère la salutation Ave Maria Gratia Plena (« Je vous salue Marie pleine de grâce ») et Marie, répond, Ecce ancilla Domini (« Je suis la servante du Seigneur) ou Jean-Baptiste [Rogier van der Weyden, Triptyque de la famille Braque, huile sur bois vers 1450, Paris Musée du Louvre] peut annoncer dans la personne de Jésus celui qui sauvera le monde, Ecce agnus dei qui tollit peccata mundi (« Voici l’agneau de Dieu qui enlève les péchés du monde »). Mais lorsque l’on passe des formules rituelles à des insultes la difficulté n’est pas la même : il ne saurait être question de peindre, à même le tableau, des insultes.
 
La seule lecture des textes canoniques ne suffit pas à donner un contenu aux insultes proférées lors de la Passion. En effet, à partir du moment où l’on a à faire à un texte religieux qui vise à l’édification des croyants ou qui sert de support à la méditation, il était impossible de fixer dans des mots la crudité des insultes dont avait été abreuvé un Dieu fait homme. Les évangélistes évoquent seulement : la moquerie, l’outrage, la raillerie, l’invective, pour injurier, bafouer, ridiculiser et discréditer un homme réduit à l’impuissance. C’est pourquoi il faut se référer aux textes des adversaires du Christianisme qui peuvent donner une idée plus précise des insultes effectives : par exemple celles de Celse ou celles de la polémique juive anti-chrétienne présentes dans le Talmud. Celse rapporte les accusations qui peuvent se transformer en autant d’insultes : charlatan ou magicien, imposteur, raconteur de sornettes qui ne fait rien de ce qu’il a annoncé, chef de bande et bâtard qui s’invente une « filiation fabuleuse ». Les mêmes accusations seront reprise par le Talmud : il reprend à quelques variantes près les accusations d’hérésie, de tromperie du peuple, d’idolâtrie, de magie.
 
      Les textes apocryphes et les textes du théâtre médiéval sont aussi utiles pour donner corps aux insultes. Par exemple un texte ancien du 4ème siècle mais qui reprend des textes du IIème siècle, Les actes de Pilate, nommé aussi L’évangile de Nicodème, aurait été rédigé en réplique à des accusations qui couraient à l’époque. Il donne de ce fait un contenu aux insultes qui auraient pu inspirer les artistes. Tous les chefs d’accusation peuvent se transformer en autant d’insultes. Le Christ est accusé de blasphème (il se nomme fils de Dieu), d’impiété et d’infidélité à la loi, (il rompt le sabbat en guérissant), de sorcellerie ou de magie (il prétend faire des miracle), d’outrage à Dieu (il prétend, conformément aux écritures ressusciter des morts), et enfin de bâtardise puisqu’il serait « né du péché » et non par l’esprit. On pourra retrouver dans les tableaux des échos de ces insultes. Les Mystères de la Passion n’hésitent pas à reprendre les insultes précédentes : le plus souvent elles sont proférées par des soldats, la foule ou Satan.
 
Le Christ aux outrages (inédit)